Dénués de tout, vous avez suppléé à tout. Vous avez gagné des batailles sans canons, passé des rivières sans ponts, fait des marches forcées sans souliers, bivouaqué sans eau de vie, souvent sans pain. Les phalanges républicaines, les soldats de la liberté étaient seuls capables de souffrir ce que vous avez souffert. Grâces vous en soient rendues, soldats ! La patrie reconnaissante vous devra sa prospérité; et si vainqueurs de Toulon, vous présageâtes l’immortelle campagne de 1794, vos victoires actuelles en présagent une plus belle encore. Les deux armées qui, naguère vous attaquaient avec audace, fuient épouvantées devant vous: les hommes pervers qui riaient de votre misère et se réjouissaient dans leur pensée des triomphes de vos ennemis sont confondus et tremblants.
Mais, soldats, vous n’avez rien fait puisqu’il vous reste encore à faire. Ni Turin ni Milan ne sont à vous; les cendres des vainqueurs de Tarquin sont encore foulées par les assassins de Basseville [ambassadeur de France à Rome, assassiné lors d’une émeute]. Vous étiez dénués de tout au commencement de la campagne; vous êtes aujourd’hui abondamment pourvus: les magasins pris à vos ennemis sont nombreux; l’artillerie de siège et de campagne est arrivée.
Soldats, la patrie a droit d’attendre de vous de grandes choses; justifierez-vous son attente ? Les plus grands obstacles sont franchis, sans doute; mais vous avez encore des combats à livrer, des villes à prendre, des rivières à passer. En est-il entre vous dont le courage s’amollisse ? En est-il qui préféreraient retourner sur les sommets de l’Apennin et des Alpes, essuyer patiemment les injures de cette soldatesque esclave ? Non, il n’en est point parmi les vainqueurs de Montenotte, de Dego et de Mondovi. Tous brûlent de porter au loin la gloire du peuple français; tous veulent humilier les rois orgueilleux qui osaient méditer de nous donner des fers; tous veulent dicter une paix glorieuse et qui indemnise la patrie des sacrifices immenses qu’elle a faits; tous veulent, en rentrant dans leurs villages, pouvoir dire avec fierté: “J’étais de l’armée conquérante de l’Italie !”
Ainsi, je vous la promets cette conquête; mais il est une condition que vous jurez de remplir: c’est de respecter les peuples que vous délivrez, c’est de réprimer les pillages horribles auxquels se portent des scélérats suscités par vos ennemis. Sans cela, vous ne seriez pas les libérateurs des peuples, vous en seriez les fléaux; vous ne seriez pas l’honneur du peuple français, il vous désavouerait. Vos victoires, votre courage, vos succès, le sang de vos frères morts au combat, tout serait perdu, même l’honneur et la gloire.
Quant à moi et aux généraux qui ont votre confiance, nous rougirions de commander à une armée sans discipline, sans frein, qui ne connaîtrait de loi que la force. Mais, investi de l’autorité nationale, fort de la justice et par la loi, je saurai faire respecter à ce petit nombre d’hommes sans courage et sans cœur les lois de l’humanité et de l’honneur qu’ils foulent aux pieds. Je ne souffrirai pas que ces brigands souillent vos lauriers; je ferai exécuter à la rigueur le règlement que j’ai fait mettre à l’ordre. Les pillards seront impitoyablement fusillés; déjà, plusieurs l’ont été: j’ai eu lieu de remarquer avec plaisir l’empressement avec lequel les bons soldats de l’armée se sont portés pour faire exécuter les ordres.
Peuples de l’Italie, l’armée française vient pour rompre vos chaînes; le peuple français est l’ami de tous les peuples; venez avec confiance au-devant d’elle; vos propriétés, votre religion et vos usages seront respectés. Nous faisons la guerre en ennemis généreux et nous n’en voulons qu’aux tyrans qui vous asservissent.