• traduction libre d’un texte en anglais d’Eric Niderost
Le maréchal Gouvion Saint-Cyr est dans une situation difficile et il le sait. C’est le matin du 26 août 1813, et Saint-Cyr et son XIVe corps français défendent Dresde, la capitale de la Saxe, contre une armée alliéenombreuse et menaçante qui dépasse en nombre la sienne d’au moins quatre contre un.
Mais si Saint-Cyr a des doutes sur sa capacité à tenir la ville, il les garde pour lui. Surnommé “le hibou“, Saint-Cyr est un intellectuel dont les manières froides et efficaces imposent le respect, sinon l’amour, à sessoldats.
Quelques semaines plus tôt, Napoléon avait déjà ordonné un renforcement majeur des défenses de Dresde, une ville de 30 000 âmes qui chevauche l’Elbe. L’Altstadt, ou Vieille Ville, est sur la rive gauche, tandis quela plus petite, Neustadt, la Nouvelle Ville, est nichée sur la rive droite. La vieille ville est entourée d’une muraille médiévale en partie démolie. Les rues principales ont été barricadées, les maisons ont été équipéesde meurtrières et des plates-formes d’artillerie ont été érigées. Le Gross Garten, ou grand jardin, un parc paysager situé au sud-est, entouré d’un mur, garde les approches de Dresde dans cette direction et estconsidéré comme un point fort.
Napoléon a ordonné que les sept portes de la ville soient bloquées et que la porte de Pirna soit renforcée en creusant un fossé devant elle qui pourrait être rempli d’eau. Saint-Cyr comptait principalement sur les 13 redoutes qui entouraient la ville comme un collier. Jusqu’à présent, ils avaient réussi à arrêter toutes les attaques alliées, mais combien de temps pouvaient-ils tenir ?
Le 12 août, l’Autriche avait déclaré la guerre à la France et rejoint officiellement la sixième coalition contre l’Empereur. La Suède également, dirigée par le prince héritier suédois, et ancien maréchal français, Jean-Baptiste Bernadotte. En comptant les réserves et les troupes de deuxième ligne, la coalition pourraitdésormais aligner quelque 800 000 hommes.
Et comme toujours, c’est la Grande-Bretagne qui paie. Les anglais ont promis deux millions de livres à la Russie et à la Prusse, et l’Autriche partagerait également les largesses. Alimentés par l’or britannique et soutenus par d’énormes réserves de main-d’œuvre, les Alliés sont convaincus de pouvoir vaincre la France.
Les Alliés auraient trois forces principales sur le terrain: l’armée du Nord, l’armée de Silésie et l’armée de Bohême. L’armée du Nord, quelque 110 000 Prussiens et Suédois sous le commandement du prince héritierBernadotte, serait dans la région de Berlin. L’armée de Silésie du maréchal Gebhard Leberecht von Blucher (95 000 hommes) serait massée autour de Breslau. La principale force alliée étant l’armée de Bohême, forte de 230000 hommes, dirigée par le maréchal prince Karl Philip von Schwarzenberg.
Les bases stratégiques sont jetées par le général comte Johann Josef Radetzky von Raditz, chef d’état-major de Schwarzenberg: une guerre d’usure, où Napoléon serait épuisé par une série de marches et de contre-marches infructueuses.
Car les Alliés ont une sainte trouille du génie de Napoléon. Ils avaient été battus à Lutzen et à Bautzen et n’étaient pas impatients de répéter l’expérience. Finalement, les armées alliées éviteraient assidûment la bataille si Napoléon était présent, et s’il avançait en personne avec son armée principale, elles se retireraientle plus rapidement possible. Ils n’attaqueraient que les subordonnés de Napoléon chaque fois que l’ occasionse présenterait.
Schwarzenberg décide que l’armée de Bohême lancerait une reconnaissance en force contre Dresde. Au début, son but était Leipzig, mais finalement Dresde est devenu la cible. Le 25 août, l’avant-garde de l’arméede Bohême dirigée par le général Peter Wittgenstein approche le sud de la ville. Cinq colonnes participent à l’effort, mais sans aucune coordination entre elles. Pire encore, les troupes attaquantes n’ont aucunéquipement pour les aider à franchir les fossés et aucune échelle pour les aider à escalader les redoutesfrançaises.
L’armée de Bohême est divisée en deux ailes distinctes. L’aile gauche, dirigée par Schwarzenberg lui-même, comprend le IIIe corps autrichien, le IVe corps autrichien, le corps de réserve autrichien et l’artillerie de réserve. Wittgenstein commande l’aile droite, une force multinationale qui comprend la division de la garderusse, le 1er corps russe, le IIe corps prussien et l’artillerie de réserve.
La bataille commence vers 5 heures du matin. Devant les attaques austro-russes, les Français sont contraintsde céder du terrain, mais jusqu’ici leurs points forts résistent contre toute attente. Peu après 9 heures, Saint-Cyr entend des centaines de soldats crier “Vive l’Empereur ! Vive l’Empereur ! Vive l’Empereur !” Napoléon est arrivé à Dresde.
Napoléon, qui à l’origine voulait attaquer l’armée de Silésie de Blucher, avait décidé de ramener le gros de la Grande Armée à Dresde. Non seulement Dresde est la capitale de son allié, le roi Frédéric-Auguste de Saxe, mais c’est aussi sa plaque tournante pendant toute la campagne, avec des stocks de parcs d’artillerie et desfournitures.
Lorsque Napoléon arrive à Dresde, sa seule présence galvanise la ville. Son charisme est si grand qu’ilinsuffle à tout le monde, de Saint-Cyr au plus humble soldat, une confiance retrouvée dans leur triomphe ultime. Les foules se rassemblent et les soldats essaient de s’en approcher pour le voir Il est là, l’homme du destin, dans son pardessus gris et son légendaire bicorne noir. Il est arrivé le premier; le reste de l’armée est en route.
Napoléon se dirige aussitôt vers les lignes de front pour inspecter les positions françaises et consulter un Saint-Cyr soulagé. L’empereur balaie l’horizon avec sa longue-vue, prenant note des positions ennemies et des progrès accomplis jusqu’ici par les Alliés. Il veut savoir ce qui s’était passé avant d’arriver sur les lieux.
Les combats, lui a-t-on dit, n’avaient pas été coordonnés mais intenses. Les Prussiens avaient réussi à pénétrer dans le Grand Jardin, mais leur progression avait été entravée par une résistance française obstinée. L’attaque avait été secondée par les Russes, qui étaient entrés dans le jardin par son coin nord-est. Après deux ou trois heures de combats, les Prussiens et les Russes avaient réussi à sécuriser environ la moitié du jardin, y compris un petit palais baroque en son centre paysager.
La garde impériale, jeune et vieille, arrive dans la ville une heure après Napoléon. Malgré la chaleur et la soif, ils entrent dans Dresde en chantant: “La victoire est à nous !“.
Au même moment, le commandement allié réalise que Napoléon est à Dresde, la peur et la consternationsont palpables. La plupart sont en faveur d’un retrait immédiat. Seul Frederick William insiste pour qu’ilslancent l’offensive majeure prévue, une attaque censée impliquer quelque 150 000 hommes. Le temps que lesordres de retrait descendent dans la chaîne de commandement, un canon de signalisation tonne, annonçant le début de l’assaut général. Pour le meilleur ou pour le pire, les Alliés vont désormais affronter Napoléon lui-même.
Vers 7h30, les Russes attaquent entre le Grand Jardin et l’Elbe, mais leur avance est bloquée par de puissantstirs d’artillerie française depuis la rive droite du fleuve. Des obus français déchirent leurs rangs, et forcent les survivants à se replier dans le désordre. Bien que l’infanterie et la cavalerie de Napoléon aient diminué enqualité, son artillerie est toujours aussi redoutable. Vers 11 heures, il y a une pause de plusieurs heures dans les combats. Cela donne à Napoléon le temps de terminer ses inspections et d’élaborer ses propres plans offensifs.
L’Empereur approuve généralement la façon dont Saint-Cyr a mené la bataille jusqu’à présent, mais note qu’il y a eu des failles dans les défenses françaises, avant même que le premier coup de feu n’ait été tiré. Certaines des redoutes sont relativement faibles, avec un seul canon chacune sur leurs remparts. Napoléon est également mécontent que les ingénieurs français n’aient pas réussi à démolir un grand bâtiment qui se trouve devant la redoute 4. Les Alliés avaient profité de cette omission flagrante pour occuper ce bâtiment. Certaines des redoutes françaises ont été placées de telle manière qu’elles n’ont pas de champs de tir se soutenant mutuellement. Napoléon veille à ce que ces points forts soient renforcés. Une redoute dispose d’une batterie de canons de 12 livres.
La Garde impériale française fait une pause au pont de Neustadt, qui traverse l’Elbe et relie la nouvelle à la vieille ville. Les grognards s’effondrent au sol, fatigués après la longue marche forcée, et utilisent leurs sacs à dos comme oreillers. D’autres acceptent avec gratitude l’alcool offert par les habitants, avalant le liquideenflammé en une ou deux gorgées.
La cavalerie de réserve française arrive à 14 heures, emmenée par le roi de Naples Joachim Murat. Hommede légende, Murat est le meilleur commandant de cavalerie des guerres napoléoniennes. Sa cavaleriecomprend à la fois de la cavalerie lourde et légère, des cuirassiers blindés, des lanciers et des chasseurs toujours prêts à engager des cavaliers ennemis et à exploiter toute percée.
La bataille recommence à 15 heures. Une fois de plus, le Grand Jardin est au centre de violents combats. Les Russes font avancent, les hommes des 20e, 21e, 24e, 25e et 26e Jagers et du régiment d’infanterie de Selenguinsk. Ils progressent, puis attaquent la redoute française 2.
Pour contrer la décision russe, le maréchal Mortier met la jeune garde de Napoléon en action. Les jeunesgardes, à la hauteur de leur réputation, repoussent les troupes tsaristes, leur faisant subir de lourdes pertes, et reprennent la moitié du jardin. Au centre, dans la zone entre la redoute 3 et la redoute 4, les Alliés ontd’abord plus de chance.
Les Autrichiens avancent sur la redoute 3 à travers un ouragan de tirs d’artillerie française et de salves de mousquets. Le 27e d’infanterie légère française tirant et chargeant avec une régularité mécanique, arrêtel’avance autrichienne. Mais brutalement le feu français de la redoute 3 s’affaiblit, puis complètement s’arrête. La garnison de la redoute est à court de munitions.
Encouragés par cette tournure inattendue des événements, les Autrichiens renouvèlent l’attaque, traversent le fossé protecteur de la redoute 3 et grimpent ses murs. Les Français les attendent avec les baïonnettes. Après un combat furieux et sanglant au corps-à-corps, les Français cèdent, les survivants se replient dans le jardinMaszcynski juste derrière la redoute. Les Autrichiens les poursuivent, mais bientôt les rôles sont inversés.
Les réserves françaises arrivent à la rescousse de leurs camarades assiégés, et se déversent hors du jardin. Les Autrichiens sont obligés de renoncer au terrain durement gagné, et plusieurs centaines d’entre-eux, piégés par les murs d’enceinte de la redoute 3, sont contraints de se rendre. Après la bataille, on retrouveraquelque 180 Français et 344 Autrichiens morts dans la redoute 3.
Les Alliés n’ont non plus de chance à l’extrême gauche. Au-delà de la rivière Weisseritz, les Autrichiens du général Friedrich von Bianchi subissent des tirs des batteries d’artillerie françaises devant Friedrichstadt et des tirs d’accompagnement de la redoute française 5. Certaines unités autrichiennes réussissent à atteindrel’Elbe, mais sont forcées de se retirer pour éviter d’être coupées par la cavalerie française, polonaise et italienne de Murat.
À la tombée de la nuit, la plupart des gains initiaux des Alliés ont été anéantis par le succès des contre-attaques françaises. Les redoutes perdues sont de nouveau aux mains des Français, et même le Grand Jardin est français. La Grande Armée, euphorique, se voit renforcée par l’arrivée de deux corps supplémentaires – le VIe Corps de Marmont et le IIe Corps de Victor.
Les combats sont temporairement terminés, Napoléon retourne au palais du roi de Saxe pour planifier le lendemain. Avec Marmont et Victor, l’armée française dispose maintenant de 120 000 soldats. Les Alliés les dépassent toujours en nombre avec 180 000, mais le moral des Alliés est bas. Les Français ont perdu 2000 tués et blessés, mais les pertes alliées sont bien plus importantes: 4000 morts et blessés et 2000 autres faits prisonniers. Le découragement se répand dans les rangs alliés, et beaucoup craignent que le pire ne soit à venir.
Pendant la nuit, des pluies torrentielles inondent le champ de bataille, provoquent la montée de la rivièreWeisseritz. Cette rivière en crue forme une barrière entre la gauche et le centre alliés, à l’exception d’un seulpont à Plauen. Si le pont tombe aux mains des Français, les communications – en fait, tout contact – seraientcoupées entre les deux groupes alliés.
Tôt le lendemain matin, Napoléon monte sur le clocher d’une église pour analyser les positions alliées. À l’aube, les pluies ont cessé, remplacées par un brouillard moite. La pluie revient bientôt et jouera son rôledans les événements de la journée.
L’Empereur prévoit un double enveloppement avec deux puissantes attaques sur les flancs alliés: les maréchaux Ney et Mortier par la gauche, Victor et la cavalerie de Murat par la droite. Le centre sera tenu par Saint-Cyr et Marmont, la garde impériale étant en réserve.
Le plan de bataille allié est simple, voire sans imagination. Environ les deux tiers de leur armée attaquerontle centre de Napoléon, laissant les généraux Bianchi (aile gauche) et Wittgenstein (aile droite) avec 25 000 hommes chacun tenir les flancs. Mais en laissant leurs flancs relativement faibles, les Alliés font le jeu de Napoléon.
À 6 heures du matin, le deuxième jour, Mortier et Ney rejettent les soldats de Wittgenstein hors de Blasewitz. La jeune garde essaie de prendre Leubnitz mais est repoussée par trois fois par une courageusegarnison de Prussiens et de Russes. Le village de Seidnitz, tenu par les Alliés résiste un certain temps avec succès à l’assaut de Napoléon.
Sur la droite française, Joachim Murat, vêtu d’une tunique à la polonaise, d’une culotte violette et de bottes jaune canari, a rassemblé ses cavaliers en deux lignes. La première ligne comporte deux sections. La sectionprès de l’Elbe se compose de la 3e division de cavalerie légère du général Louis Pierre Chastel, principalement des chasseurs. Dans la section près de Cotta, les cuirassiers et les dragons de la 3e division de cavalerie lourde du général Jean-Pierre Dourmerc. La deuxième ligne, tout aussi puissante, est tenue par la 1ère division de cavalerie lourde du général Etienne de Bordesoulle, composée de cuirassiers français et saxons.
Rang après rang ces superbes cavaliers se déplacent avec précision et rapidité. La boue épaisse et visqueusedes pluies ralentit l’avancée vers une marche rapide. Cinq escadrons de cuirassiers saxons percutent des hussards autrichiens, et les refoulent en désordre. La 3e division d’infanterie légère autrichienne du généralbaron Joseph von Mesko est la prochaine cible des cavaliers déchaînés de Murat. Mesko, d’abord tient bon, et forme sa division en carrés. Mais bientôt des canons tractés par des chevaux se déchaînent à bout portantsur les carrés ennemis. Une mer de cuirassiers français et saxons frappe, taille et tranche dans les soldatsalliés.
Dans une situation normale, la cavalerie serait impuissante à briser un carré d’infanterie. Mais les pluies sontrevenues et beaucoup d’hommes de Mesko ne peuvent utiliser leurs fusils, devenus inutiles parce que leurpoudre est humide.
Démoralisés, affamés et épuisés, les troupes de la gauche alliée découvrent également qu’ils sont piégés. Les Français ont pris Plauen, avec son pont vital. Régiment après régiment ils déposent les armes. Deux compagnies d’infanterie autrichienne, le dos contre la rivière Weisseritz, tentent de manœuvrer, mais les dragons français les poursuivent, chargeant leurs carabines sous leurs capes pour protéger les armes de la pluie. Leur stratagème réussit, les cavaliers parviennent à tirer une volée dévastatrice dans les rangsautrichiens. Les deux compagnies se rendent. La 3e division légère autrichienne a cessé d’exister. Mesko lui-même est capturé par un soldat du 23e Dragons français. L’aile gauche alliée est détruite, 13 000 prisonnierset 150 étendards capturés.
Lorsque les combats se calment en fin d’après-midi, Napoléon s’attend à un troisième jour de combat. Mais les Alliés en ont assez. Le tsar Alexandre a échappé de peu à la mort lorsqu’un boulet de canon a volé près de lui. Le projectile a touché le général Jean Moreau, l’un des ennemis de Napoléon qui avait été exilé de France. Moreau, sera amputé des deux jambes, mais l’opération ne réussira pas à le sauver. Schwarzenberg ordonne une retraite nocturne.
Tôt le 28 août, les Français réalisent que les Alliés sont partis. Napoléon ordonne une poursuite, mais il estmoins attentif aux détails car il tombe gravement malade. Trempé jusqu’aux os par la pluie battante, il estsaisi de violentes douleurs d’estomac. Distrait par la maladie, il ne supervise pas la poursuite aussiétroitement qu’il l’aurait fait normalement.
À tous égards, Dresde est une grande victoire française, l’un des derniers triomphes sans mélange de l’Empereur. Les Alliés ont perdu 38 000 hommes, les Français à peine 10 000. Mais la nouvelle de la défaitede ses subordonnés à Katzbach et Kulm ternit le grand triomphe de Napoléon à Dresde. Ce serait sa dernièrevictoire significative.