• Bourrienne écrit dans ses Mémoires:
“Ce ne fut que le sept de ce mois que le temps nous permit de sortir du golfe d’Ajaccio. La navigation fut heureuse et tranquillejusqu’au lendemain, mais ce jour-là [le 8 octobre], au moment du coucher du soleil, nous signalâmes une escadre anglaise de quatorze voiles. Les Anglais, favorisés par la disposition de la lumière que nous avions en regard, nous voyaient mieux que nous ne pouvions les voir.
Ils reconnurent nos deux frégates comme étant de construction vénitienne, et la nuit survint très heureusement pour nous; car nous n’étions pas fort éloignés les uns des autres nous vîmeslongtemps les signaux de la flotte anglaise; le bruit du canon se fit entendre de plus en plus vers notre gauche et nous crûmes que l’intention des croiseurs était de nous tourner par le sud-est.
En cette circonstance il fut permis à Bonaparte de rendre grâce à la fortune, car il est bien évident que si les Anglais eussent pusoupçonner que nos deux frégates venaient de l’Orient et se rendaient en France, ils nous auraient fermé le chemin en faisantvoile entre la terre et nous, ce qui leur était très facile. Ils nous prirent probablement pour un convoi d’approvisionnement se rendant de Toulon à Gênes, et ce fut à cette erreur et à la nuit que nous dûmes d’en être quittes pour la peur.”
• Le lendemain à l’aube, le 9 octobre 1799
les batteries françaises ouvrent le feu, pensant avoir à faire à des navires anglais. Heureusement, les boulets se perdent dans les flots et à huit heures du matin, les frégates Muiron et Carrèremouillent devant Fréjus. C’est le 17 vendémiaire an VIII, entourédes généraux Duroc, Lannes, Marmont, Murat et Berthier, Bonaparte débarque sur le continent.
• Lisons encore Bourrienne
“Nous touchions presque au rivage quand le bruit se répandit que l’une des deux frégates portait le général Bonaparte. Alors en un instant la mer fut couverte d’embarcations; en vain nous les engagions à s’éloigner; nous fûmes enlevés et portés à terre.”
• Qu’en dit Bainville
“Le 8 octobre, il est en vue des côtes de Provence. Il se dérobeencore à l’escadre anglaise qui croise pour le saisir. Le 9, il débarque près de Fréjus, dans la baie de Saint-Raphaël. Il eut alorsune révélation.
Pendant son absence, sa popularité avait grandi au-delà de ce qu’ilavait espéré. A peine sa frégate a-t-elle approché du rivage, à peine son arrivée est-elle connue que les Provençaux accourent, entourent la Muiron de leurs barques, acclament le général, montent à bord pour le voir de plus près.
Autre chance. Cette prise de contact le délivre du service sanitaireet de la quarantaine que pourrait, puisqu’il vient d’un pays où il y a la peste, lui infliger une administration mal intentionnée. Il se metde lui-même au-dessus des règlements. Déjà les cris qu’il entend, l’allégresse dont il recueille les marques lui font connaître qu’il est attendu. Si l’heure est passée où l’on aurait eu besoin d’un grand capitaine pour vaincre l’ennemi, on a besoin d’un soldat, d’un chef pour sauver la République et l’État.”
• Un mois plus tard, Napoléon Bonaparte prend le pouvoir et devient Premier consul. Cinq ans plus tard, il est sacré Empereurdes Français…